Pannychis

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_Plusieurs jeunes files entourent un petit enfant... le caressent..._

--_On dit que tu as fait une chanson pour Pannychis, ta cousine?_

--_Oui, je l'aime, Pannychis... elle est belle. Elle a cinq ans comme
moi... Nous avons arrondi en berceau ces buissons de roses... Nous nous
promenons sous cet ombrage... On ne peut nous y troubler, car il est
trop bas pour qu'on y puisse entrer. Je lui ai donné une statue de Vénus
que mon père m'a faite avec du buis. Elle l'appelle sa fille, elle la
couche sur des feuilles de rose dans une écorce de grenade... Tous les
amants font toujours des chansons pour leur bergère... Et moi aussi,
j'en ai fait une pour elle..._

--_Eh bien, chante-nous ta chanson et nous te donnerons des raisins et
des figues mielleuses..._

--_Donnez-les-moi d'abord et puis je vais chanter... Il tend ses deux
mains... on lui donne... et puis, d'une voix claire et douce, il se met
à chanter_:

  'Ma belle Pannychis, il faut bien que tu m'aimes;
  Nous avons même toit, nos âges sont les mêmes.
  Vois comme je suis grand, vois comme je suis beau.
  Hier je me suis mis auprès de mon chevreau;
  Par Pollux et Minerve! il ne pouvait qu'à peine 
  Faire arriver sa tête au niveau de la mienne.
  D'une coque de noix j'ai fait un abri sûr   Pour un beau scarabée étincelant d'azur;
  Il couche sur la laine, et je te le destine.
  Ce matin, j'ai trouvé parmi l'algue marine 
  Une vaste coquille aux brillantes couleurs;
  Nous l'emplirons de terre, il y viendra des fleurs.
  Je veux, pour te montrer une flotte nombreuse,
  Lancer sur notre étang des écorces d'yeuse.
  Le chien de la maison est si doux! chaque soir, 
  Mollement sur son dos je veux te faire asseoir;
  Et, marchant devant toi jusques à notre asile,
  Je guiderai les pas de ce coursier docile.'

_Il s'en va bien baisé, bien caressé... Les jeunes beautés le suivent de
loin. Arrivées aux rosiers, elles regardent par-dessus le berceau sous
lequel elles les voient occupés à former avec des buissons de myrte et
de roses un temple de verdure autour d'un petit autel, pour leur statue
de Vénus; elles rient. Ils lèvent la tête, les voient et leur disent de
s'en aller. On les embrasse... En s'en allant, la jeune Myro dit:... O
heureux âge!... Mes compagnes, venez voir aussi chez moi les monuments
de notre enfance... j'ai entouré d'une haie, pour le conserver, le
jardin que j'avais alors... Une chèvre l'aurait brouté tout entier en
une heure... C'est là que je vivais avec...; il m'appelait déjà sa femme
et je l'appelais mon époux... Nous n'étions pas plus hauts que telle
plante... Nous nous serions perdus dans une forêt de thym... Vous y
verrez encore les romarins s'élever en berceau comme des cyprès autour
du tombeau de marbre où sont écrits les vers d'Anyté... Mon bien-aimé m'avait donné une cigale et une sauterelle. Elles moururent, je leur
élevai ce tombeau parmi le romarin. J'étais en pleurs... La belle Anyté passa, sa lyre à la main..._

--_Qu'as-tu? me demanda-t-elle._

--_Ma cigale et ma sauterelle sont mortes..._

--_Ah! me dit-elle, nous devons tous mourir (cinq ou six vers de
morale)..._

_Puis elle écrivit sur la pierre_:

  'O sauterelle, à toi, rossignol des fougères,
  A toi, verte cigale, amante des bruyères, 
  Myro de cette tombe élève les honneurs,
  Et sa joue enfantine est humide de pleurs;
  Car l'avare Achéron, les Soeurs impitoyables
  Ont ravi de ses jeux ces compagnes aimables.'

© André Marie de Chénier