Reminiscences A Darwin

written by


« Reload image

Je sens un monde en moi de confuses pensees,
Je sens obscurement que j'ai vecu toujours,
Que j'ai longtemps erre dans les forets passees,
Et que la bete encor garde en moi ses amours.

Je sens confusement, l'hiver, quand le soir tombe,
Que jadis, animal ou plante, j'ai souffert,
Lorsque Adonis saignant dormait pale en sa tombe;
Et mon coeur reverdit, quand tout redevient vert.

Certains jours, en errant dans les forets natales,
Je ressens dans ma chair les frissons d'autrefois,
Quand, la nuit grandissant les formes vegetales,
Sauvage, hallucine, je rampais sous les bois.

Dans le sol primitif nos racines sont prises;
Notre ame, comme un arbre, a grandi lentement;
Ma pensee est un temple aux antiques assises,
Ou l'ombre des Dieux morts vient errer par moment.

Quand mon esprit aspire a la pleine lumiere,
Je sens tout un passe qui me tient enchaine;
Je sens rouler en moi l'obscurite premiere:
La terre etait si sombre aux temps ou je suis ne!

Mon ame a trop dormi dans la nuit maternelle:
Pour monter vers le jour, qu'il m'a fallu  d'efforts!
Je voudrais etre pur; la honte originelle,
Le vieux sang de la bete est reste dans mon corps.

Et je voudrais pourtant t'affranchir, o mon ame,
Des liens d'un passe qui ne veut pas mourir;
Je voudrais oublier mon origine infame,
Et les siecles sans fin que j'ai mis a grandir.

Mais c'est en vain: toujours en moi vivra ce monde
De reves, de pensers, de souvenirs confus,
Me rappelant ainsi ma naissance profonde,
Et l'ombre d'ou je sors, et le peu que je fus;

Et que j'ai transmigre dans des formes sans nombre,
Et que mon ame etait, sous tous ces corps divers,
La conscience, et l'ame aussi, splendide ou sombre,
Qui reve et se tourmente au fond de l'univers!

© Henri Cazalis