Pasteurs et Troupeaux

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Le vallon où je vais tous les jours est charmant,Serein, abandonné, seul sous-le firmament,Plein de ronces en fleurs; c'est un sourire triste.Il vous fait oublier que quelque chose existe,Et, sans le bruit des champs remplis de travailleurs,On ne saurait plus là si quelqu'un vit ailleurs.Là, l'ombre fait l'amour; l'idylle naturelleRit; le bouvreuil avec le verdier s'y querelle,Et la fauvette y met de travers son bonnet;C'est tantôt l'aubépine et tantôt le genêt;De noirs granits bourrus, puis des mousses riantes;Car Dieu fait un poëme avec des variantes;Comme le vieil Homère, il rabâche parfois,Mais c'est avec les fleurs, les monts, l'onde et les bois!Une petite mare est là, ridant sa face,Prenant des airs de flot pour la fourmi qui passe,Ironie étalée au milieu du gazon,Qu'ignore l'océan grondant à l'horizon.J'y rencontre parfois sur la roche hideuseUn doux être; quinze ans, yeux bleus, pieds nus, gardeuseDe chèvres, habitant, au fond d'un ravin noir,Un vieux chaume croulant qui s'étoile le soir;Ses sœurs sont au logis et filent leur quenouille;Elle essuie aux roseaux ses pieds que l'étang mouille;Chèvres, brebis, béliers, paissent; quand, sombre esprit,J'apparais, le pauvre ange a peur, et me sourit;Et moi, je la salue, elle étant l'innocence.Ses agneaux, dans le pré plein de fleurs qui l'encense,Bondissent, et chacun, au soleil s'empourprant,Laisse aux buissons, à qui la bise le reprend,Un peu de sa toison, comme un flocon d'écume.Je passe; enfant, troupeau, s'effacent dans la brume;Le crépuscule étend sur les longs sillons grisSes ailes de fantôme et de chauve-souris;J'entends encore au loin dans la plaine ouvrièreChanter derrière moi la douce chevrière;Et, là-bas, devant moi, Je vieux gardien pensifDe l'écume, du flot, de l'algue, du récif,Et des vagues sans trêve et sans fin remuées,Le pâtre promontoire au chapeau de nuées,S'accoude et rêve au bruit de tous les infinis,Et dans l'ascension des nuages bénis,Regarde se lever la lune triomphale,Pendant que l'ombre tremble, et que l'âpre rafaleDisperse à tous les vents avec son souffle amerLa laine des moutons sinistres de la mer.

© Victor Marie Hugo